COUTUMIER (DROIT)

COUTUMIER (DROIT)
COUTUMIER (DROIT)

Il est usuel, chez les juristes du continent européen, d’approcher la notion de droit coutumier en l’opposant au droit écrit ou plus précisément, au droit législatif.

On ne saurait se satisfaire d’une telle conception négative et résiduaire. Ce serait d’abord accorder à l’écriture et à la loi un rôle qui ne s’observe pas dans tous les types de civilisation ou de structure juridique; au surplus, les deux termes ne sont point synonymes et il existe, dans certaines sociétés, des lois non écrites. Ensuite, c’est une grave question que celle de savoir si le droit coutumier, venant à être rédigé, change, par là même, de nature et devient loi. Et, de toute façon, quand bien même il serait fondé sur un caractère réel du droit coutumier, le critère de l’oralité n’exprime aucunement la nature profonde de ce dernier; l’oralité n’est pas spécifique de la seule coutume, et l’on est contraint à des discriminations plus rigoureuses.

À qui veut pénétrer la nature du droit coutumier, il suffit d’analyser les deux termes dont la combinaison veut dénoter un fait particulier: non pas n’importe quel droit, mais un droit d’essence coutumière; non pas n’importe quelle coutume, mais une coutume de caractère juridique. S’il y a déjà de grandes difficultés à caractériser approximativement la coutume, il semble encore plus important, et il est plus délicat, de savoir à quelles conditions elle s’impose dans le domaine du droit.

Le droit coutumier comme coutume

On peut partir, sous bénéfice d’inventaire, de l’opinion courante selon laquelle la coutume est une règle de conduite suivie par un groupe social et résultant d’un usage plus ou moins prolongé. Cette conception admise par la généralité de la doctrine juridique occidentale n’est pas sans résonance dans certains pays du Tiers Monde où la coutume est sentie, voire définie (indépendamment de toute influence européenne), comme une règle ancienne ratifiée par la constance de son application; ainsi, c’est une conduite sociale et, davantage, une règle de conduite.

Usage et coutume

L’usage consiste, semble-t-il, en une répétition, c’est-à-dire une pluralité d’actes (comme l’habitude, dont il serait pour certains une espèce, collective). Les juristes médiévaux ont longuement et vivement débattu du nombre des actes requis pour donner corps à la coutume: certains voulaient qu’il y en eût dix, d’autres se contentaient de deux, d’autres encore jugeaient qu’un seul était acceptable, s’il présentait une importance telle qu’il avait pu retenir l’attention de tous. À ce point, et dans la mesure où elle ne porte que sur un élément matériel ou externe de la coutume, envisagé pour lui-même, la question est aussi difficile à trancher que celles qui consistent à se demander combien il faut de grains de blé ou de riz pour former un tas, et combien d’actes pour faire une habitude.

Elle est apparemment plus simple à résoudre si l’on s’interroge sur les raisons qui poussent à exiger certains actes. Si, en effet, les actes ne servent qu’à manifester un certain consentement, ou la volonté collective, ou la soumission du groupe intéressé, peu importe leur nombre: tout dépend des circonstances dans lesquelles sont intervenus les actes (ou un acte) et de la signification qu’on leur a attachée. Ainsi, la réitération des actes, même dans les rapports entre particuliers, ne paraît pas indispensable à la naissance d’une coutume; à plus forte raison en est-il de même dans des domaines tels que le droit constitutionnel ou le droit international, où les comportements constitutifs de coutume sont normalement le fait d’un organe unique, et nécessairement sporadiques. Du reste – et d’une façon générale –, si une fois, vraiment, n’est pas coutume, si un acte isolé est sans valeur ni portée, comment peut-on saisir un deuxième acte qui serait efficace, et comment la chaîne coutumière pourrait-elle se constituer, à partir d’un néant perpétuellement renouvelé? Il faudrait que la répétition importât moins comme fréquence que comme succession: question de temps et non de nombre, de tradition et non d’usage.

La coutume et le temps

L’existence d’une règle coutumière donne à penser que le même acte, ou les mêmes actes, se renouvelleront dans le temps. C’est évidemment un problème tout autre, que celui de savoir si le temps est un facteur d’existence de la coutume. La réponse est le plus souvent affirmative, on considère même que l’écoulement d’une certaine durée est une condition essentielle à la formation d’une règle coutumière. En revanche, la détermination de cette durée n’est pas toujours rigoureuse: on demande parfois que la coutume soit immémoriale, ce qui est une exigence sévère et vague (mais qui peut être précisée: le droit anglais ne regarde comme immémoriale qu’une coutume qui existait en 1189); ou l’on fixe cette durée à quarante, vingt ou dix ans; ou encore l’on indique simplement que la durée doit être suffisante pour que l’usage soit certain. La plupart des peuples du Tiers Monde paraissent témoigner sur ce point d’un strict respect de la tradition: on y fait remonter l’origine de la coutume aux ancêtres (de même qu’à l’époque romaine archaïque la coutume était essentiellement le mos maiorum ). En réalité, cette conception n’impose pas nécessairement un âge vénérable à la coutume: point n’est besoin qu’elle sorte du fond des âges, puisque le décès peut suffire à transformer un homme en ancêtre. Les derniers défunts, dès lors qu’ils ont, de leur vivant, joué un rôle important dans le groupe social et joui d’une grande renommée, peuvent engendrer une coutume aussi bien que les ancêtres les plus lointains. Il ne faut donc pas s’abuser sur le caractère d’ancienneté: les pays de civilisation dite traditionnelle sont assurément sensibles à cette ancienneté, mais l’on y fonde la coutume moins sur la répétition prolongée de certains comportements que sur le prestige de l’individu qui accomplit, un jour, une action mémorable, et si le héros fondateur appartient souvent, ou le plus souvent, aux temps anciens, on n’en est parfois séparé que par quelques générations.

Une autre considération conduit à penser que la vétusté n’est pas de l’essence de la coutume. En effet, on relève – et l’on vante – les caractères de souplesse et de flexibilité de la coutume, par opposition à la rigidité de la loi: le droit coutumier, reflétant l’évolution de la société, serait lui-même en constante évolution. Cette faculté d’adaptation et cette mobilité imputées, non à tort, à la coutume, sont évidemment en contradiction avec l’idée d’une règle traditionnelle, ancestrale: les droits coutumiers africains comportent aujourd’hui, en matière de régimes matrimoniaux notamment, des règles particulières aux machines à coudre et transistors qui ne se rattachent évidemment pas à un très lointain passé... Ainsi, les expressions les plus authentiques et spontanées de la coutume se rapprochent curieusement de ses manifestations les plus techniques, puisque l’on observe que la formation d’une coutume constitutionnelle dans un État moderne peut être d’une rapidité extrême et qu’il peut suffire d’une innovation pour que naisse, instantanément, une règle coutumière. D’ailleurs, ici encore, si le temps – l’histoire ou la légende – faisait seul la coutume, devant quel genre de phénomène se trouverait-on tandis que le temps écoulé est insuffisant? et la novation, en coutume, de ce quid indéterminé s’étant opérée à un certain moment, comment ferait-on remonter l’origine de cette coutume à la date, plus reculée, où il ne devrait pas s’agir encore de coutume? À quel titre un ancêtre aurait-il, jadis, adopté le comportement de son prédécesseur immédiat, si le recul seul permettait de regarder ce dernier comme l’instaurateur de la coutume? Au vrai, ce n’est pas parce que la coutume est ancienne qu’elle est coutume, mais bien parce qu’elle est coutume qu’elle est ancienne: la tradition concerne la vie et non la nature du droit coutumier; le temps peut témoigner du respect que l’on porte à la coutume, il n’explique pas sa force, ni sa genèse. Ce qui revient à dire que l’élément matériel de la coutume se réduit, sans autre exigence ni qualification, à un comportement social. Mais il est clair que cet élément n’épuise pas la nature de la coutume, il reste à rendre compte du caractère socialement obligatoire, du caractère de règle, de celle-ci.

La règle de conduite

Ce qui fait la coutume, ce n’est pas – dit-on – la simple circonstance qu’une conduite est effectivement tenue, c’est le fait qu’on doive la tenir: la conduite est perçue comme étant obligatoire par les membres du groupe. Dans une certaine doctrine juridique occidentale (dite romano-canonique), on dénomme opinio necessitatis cet élément psychologique, qui serait de l’essence même de la coutume.

Une conduite est perçue comme étant obligatoire. Pourquoi? Sociologues et ethnologues avancent un certain nombre d’hypothèses, dont J. Carbonnier a présenté une analyse pénétrante. En premier lieu, la coutume serait une forme sociale de l’imitation, et c’est le misonéisme que l’on trouverait au fondement de l’opinio necessitatis. De fait, les ouvriers parisiens qui remettaient leur paye à leur épouse, comme les Mnong Gar du Vietnam sacrifiant à leurs génies, déclaraient imiter, qui leur grand-père et leur père, qui les héros des temps anciens. Pourquoi cette imitation, cette obligation d’imiter? Par facilité, par crainte de se singulariser en agissant de façon originale, par une répugnance ou une angoisse foncière devant l’innovation qui débouche sur la menace d’un futur inconnu, ou par respect (et crainte) des parents ou ancêtres. L’imitation, apparemment mécanique, peut donc fournir un fondement transcendantal au caractère obligatoire de la coutume; l’explication paraît convenir particulièrement aux sociétés dites primitives; elle n’est pas totalement déplacée, cependant, s’agissant des sociétés modernes. Selon une autre hypothèse, la coutume serait née de la convention, d’une espèce de connivence intéressée entre membres du groupe, notamment sous la forme d’une croyance en la réciprocité des comportements: on agit d’une certaine façon, parce que l’on attend des autres qu’ils agissent de même, ce qui est un gage de sécurité. L’opinio necessitatis surgirait donc chez autrui, non point comme un retour au passé, mais en conséquence d’une ouverture sur l’avenir. Cette rationalité de l’opinio necessitatis ne paraît vraisemblable, à première vue, qu’au sein d’un groupe social évolué; il convient toutefois de noter qu’une théorie célèbre, sinon incontestée – celle de Malinowski – fait également de la réciprocité le fondement de la coutume (et de la vie sociale) dans les sociétés «primitives». Peut-être la principale faiblesse de ces hypothèses, de la première surtout, est-elle de fournir moins une analyse qu’une justification, a posteriori d’un état d’esprit postulé, plutôt que démontré. Une conduite est sentie comme obligatoire: en quel sens? et dans quelle mesure?

S’agissant tout d’abord des sociétés traditionnelles, Malinowski s’est élevé avec force contre le dogme de la soumission automatique des «primitifs» à la coutume: il n’y a pas, de la part de l’individu, obéissance aveugle et inconditionnelle, mais discussion et désir de résistance ou tout au moins d’accommodements. Il n’est pas incohérent que ce sentiment se manifeste chez ceux-là mêmes qui affirment la provenance ancestrale de la coutume; c’est, en effet, une chose que de porter à la coutume la vénération que l’on doit aux ancêtres, et c’en est une autre que de l’appliquer au péril de ses intérêts. Invoquer la coutume des ancêtres, c’est reconnaître et parfois revendiquer son appartenance à tel groupe, pour se différencier des autres; mais il s’en faut de beaucoup que cet attachement contraigne à respecter mécaniquement n’importe quelle règle défavorable, qui serait la coutume. La force de la tradition ne suffirait donc pas, même dans les civilisations où l’individu est enserré dans les liens collectifs, à émousser l’aiguillon de l’intérêt personnel qui exclut la docilité supposée envers la coutume. Cette interprétation des données – ou de certaines données – de l’ethnologie se trouve renforcée par des objections d’ordre logique élevées (principalement par E. Lambert), à l’encontre de l’opinio necessitatis et qui, étayées par l’histoire du droit et le droit comparé, semblent avoir une portée universelle. Qu’est-ce, en effet, que cet élément psychologique de la coutume? Ce peut être, en premier lieu, une croyance en la force obligatoire de la coutume, c’est-à-dire une reconnaissance spontanée de la règle coutumière. Mais alors, de deux choses l’une: ou bien cette croyance est fondée, et elle présuppose l’existence antérieure de la règle qu’elle devrait constituer; ou alors, il faut que la coutume soit une règle imaginaire, et le droit coutumier le fruit d’un égarement collectif. Il faut ajouter à cela que la prétendue perception instinctive de la règle est en contradiction avec le caractère incertain, difficilement connaissable, de la coutume. L’élément psychologique participe-t-il, en second lieu, de la volonté et non plus de la croyance? La coutume ne peut être librement voulue et consentie par les intéressés, car il est peu vraisemblable que l’on s’incline sans contrainte devant une prétendue règle désavantageuse: la coutume lésant toujours certains intérêts, son acceptation spontanée ne peut être unanime. Ce serait une vision exagérément idyllique des sociétés humaines que celle qui trouverait à la source de la coutume une série de concessions mutuelles, de transactions, de compromis, un équilibre délicat d’avantages et d’inconvénients atteint spontanément par les intéressés. Tout groupe social connaît des situations conflictuelles, des désirs divergents chez ses membres, des réclamations formulées par certains contre d’autres; et il faut bien que le groupe, pour demeurer une communauté, tranche ces conflits (Llewellyn et Hoebel). En d’autres termes, il faut que quelqu’un impose le respect de la règle coutumière: la coutume n’est pas la conduite sentie comme obligatoire, mais la conduite prescrite comme obligatoire.

La question se pose alors de savoir qui prescrit la conduite. Tout dépend des types de coutumes, et le problème présente une difficulté particulière s’agissant de la coutume juridique.

Le droit coutumier comme droit

Dans les sociétés modernes où existe, théoriquement du moins, une séparation tranchée entre le juridique d’une part, et le social non juridique, d’autre part, le droit coutumier devrait, semble-t-il, pouvoir se reconnaître à la matière qu’il régit. Une coutume intervenant en matière de mariage, de succession, de contrats commerciaux ou de rapports entre les pouvoirs publics serait droit coutumier, alors qu’un usage mondain, une habitude vestimentaire ou les règles d’un jeu seraient qualifiés de coutume non juridique (la seconde pouvant n’être pas moins contraignante que le premier). Toutefois, le critère tiré de la matière ne peut être retenu, même dans les sociétés modernes. Car une matière normalement juridique peut être régie en partie par des coutumes non juridiques: il suffit d’évoquer les rites populaires ou corporatifs de mariage, si rigoureusement observés par certaines catégories sociales. Le critère est a fortiori inopérant dans les sociétés traditionnelles où règne une indistinction parfois totale entre les différents secteurs de la vie sociale; les coutumes y sont alors, à la fois, usages sociaux, règles morales, impératifs religieux et normes juridiques; il est cependant évident que, pour les intéressés, elles constituent un ensemble homogène et indissociable, de qualification incertaine.

Néanmoins, le juriste et même l’ethnologue peuvent tenter une discrimination.

Respect de la coutume

Si la coutume est spontanément suivie, le phénomène relève essentiellement d’une étude sociologique, et l’on y verra un fait social. La qualification de «juridique» (ou «non juridique») impliquerait la possession d’un critère sûr de la «juridicité»; or, même dans les systèmes juridiques qui distinguent le droit des autres règles de la vie sociale, parmi tant de critères proposés pour tracer les frontières, il n’en est guère qui s’appliquent à l’analyse des attitudes naturellement conformes à la norme, des relations paisibles entre les hommes. L’existence du droit paraît liée à la possibilité de sa violation, et ainsi la coutume qui serait le plus incontestablement coutume, selon l’opinion courante, est aussi celle où l’on aurait le moins de raisons de voir du droit coutumier. Le phénomène présenterait néanmoins l’intérêt, immense, de rappeler au juriste (aux visées étroites, ou au contraire totalitaires) que les gens heureux n’ont pas besoin du droit...

Si, à présent, on suppose un conflit, une violation prétendue de la coutume, on devrait être à même de discerner le droit coutumier. Mais, à cet égard, il faut commencer par faire une distinction. Dans la plupart des sociétés modernes, on tend à considérer qu’est juridique la règle qui est juridiquement sanctionnée. Or, la sanction juridique serait celle qui se caractérise par la spécialisation d’un organe (d’ordinaire un juge) ayant pour fonction de la prononcer, et par son automaticité: par suite de la déformation déjà signalée qui pousse à privilégier les aspects conflictuels, contentieux et pathologiques de la vie sociale, la règle de droit en général, et donc la règle de droit coutumier, est considérée comme étant moins celle (dite primaire) qui impose une conduite, que celle (dite secondaire) qui attache une sanction à la violation hypothétique de la règle primaire; la violation effective de cette dernière est donc la réalisation de l’hypothèse, qui appelle naturellement le prononcé de la sanction. Les critères du droit coutumier sont alors d’ordre purement formel. Dans les sociétés traditionnelles, en revanche, le droit, et au premier chef le droit coutumier, serait plutôt conçu comme un ensemble de règles primaires qui doivent être suivies (cf. M. Gluckman); c’est leur respect et non leur violation qui est l’objet des préoccupations et, lorsqu’une violation est constatée, on s’efforce en premier lieu de réaliser néanmoins la conformité des comportements avec la règle, par la conciliation des parties intéressées. C’est seulement en cas d’échec de l’essai de conciliation imposé aux intéressés qu’une sanction est infligée; non pas automatiquement, mais dans la mesure où l’obstination du délinquant constitue un danger pour le groupe, un facteur de dissociation de celui-ci. Le critère du droit coutumier est alors d’ordre fonctionnel.

Détermination de la coutume

Cela étant, il apparaît que, dans tous les types de sociétés, un problème identique se pose, celui de la détermination de la règle de droit coutumier dont le respect doit être assuré, ou la violation sanctionnée. On retrouve ici un autre aspect de la thèse d’E. Lambert. Pour cet auteur, la coutume n’a pas de valeur en elle-même, elle ne s’impose pas par une force propre; il est nécessaire, pour qu’elle devienne droit, qu’elle soit approuvée et sanctionnée par un juge. Les critiques auxquelles s’est heurtée cette conception paraissent perdre beaucoup de leur pertinence, si l’on élargit la formule pour parler non plus d’un juge mais d’une autorité. En effet, une double circonstance déjà relevée (l’existence de conflits qui aboutissent en dernière analyse à mettre en cause la coutume même, et l’évolution de la coutume) implique qu’il y ait à chaque instant quelqu’un qui dise quelle est la coutume, quel est le droit. Dans les sociétés traditionnelles, les essais de conciliation que tente le chef, ou le sorcier, ou le groupe des anciens, ou l’assemblée du peuple montrent assez que la règle de droit coutumier n’est pas une donnée antérieure et fixe à laquelle il conviendrait, et il suffirait, de se référer, mais qu’il faut que l’accord se fasse sur elle, d’après une opinion moyenne de ce qu’elle est. C’est-à-dire qu’il faut la recréer en chacune des occasions qui appellent son application, et l’on désigne parfois les assemblées où il est fait état de la coutume d’un mot qui signifie à la fois faire et dire le droit (cf. Henri Lavondes). De toute façon, l’hypothèse d’un caractère purement déclaratif de l’intervention de l’autorité supposerait un sens de l’égalité et de l’absolu, une conception du droit comme ensemble de normes générales et abstraites qui ne sont guère en correspondance avec la mentalité dite archaïque.

Dans les sociétés modernes, la coutume est parfois rédigée. Il arrive que la rédaction soit un moyen d’éliminer les coutumes dites mauvaises; seules les bonnes coutumes sont rédigées, les autres sont théoriquement abolies: ainsi, en France, au XIe siècle. La coutume tire alors sa valeur de la sanction de l’autorité. Il se peut que la rédaction soit l’œuvre des seuls intéressés (ainsi, en matière de commerce international); la coutume paraît alors être l’expression d’un pouvoir autonome des usagers. Il faut bien voir cependant que cette rédaction, quand bien même elle serait précédée de consultations, est le fait de comités restreints, directoires d’associations professionnelles qui, en fait, imposent leurs décisions aux autres adhérents du groupement. Il se peut aussi que la coutume rédigée reçoive une consécration officielle; elle se transforme alors en loi, si toute possibilité d’évolution ultérieure lui est refusée; elle conserve son caractère de droit coutumier, si elle peut poursuivre son existence en dehors du document qui l’a recueillie, en modifiant, voire en abrogeant, certaines dispositions de celui-ci. Mais on retrouve alors le problème que pose la coutume non rédigée et que la rédaction tendait à résoudre, celui de la connaissance de la coutume: ou bien il existe des procédés de constatation ou de preuve qui s’imposent à celui (juge, arbitre) qui est chargé d’appliquer la coutume, et ils consistent généralement à confier à quelques personnes la fonction de déclarer la coutume; ou bien la constatation de l’existence de la coutume alléguée est abandonnée au juge, et le rôle créateur de ce dernier apparaît clairement – surtout dans les pays où son appréciation ne peut être discutée.

Il faut ajouter que, très souvent, la coutume ne peut être source de droit que dans la mesure où elle est raisonnable, conforme à l’ordre public, non contraire au droit étatique, etc. Il semble difficile de contester que le «droit coutumier» n’est admis pour tel qu’en conséquence d’un jugement de valeur et que l’hypothèse d’un caractère purement déclaratif de l’intervention de l’autorité qui le consacre serait aussi fondée en réalité que le mythe démocratique qui voit dans la loi l’expression de la volonté générale. À cet égard, la théorie longtemps orthodoxe, en Angleterre, selon laquelle la common law s’est fondée sur la coutume générale immémoriale du royaume, a valeur d’exemple: il ne s’agissait que d’une fiction pieuse destinée à écarter le soupçon que les juges aient pu créer le droit.

On est donc autorisé à dire que la coutume est la plus démocratique des sources du droit: c’est toujours, mais de façon plus diffuse, moins évidente, la volonté de quelques-uns à laquelle se plie le plus grand nombre.

Encyclopédie Universelle. 2012.

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